Bouclier social pour Christian Favier (PCF), relais des politiques gouvernementales pour Bruno Sido (UMP), l’enjeu des élections cantonales avec, au coeur, la réforme des collectivités, la dimension nationale du vote, est passé au peigne fin.
Quels sont pour vous les enjeux locaux et nationaux de ces élections cantonales dont le premier tour a lieu ce dimanche ?
Christian Favier. Les populations jugeront le bilan des actions menées par les élus dans les départements. Cependant, bien des électeurs vont se saisir de cette occasion pour sanctionner le gouvernement et ses réformes. Je pense à celle sur les retraites. Il y a dans la population un fort sentiment d’injustice quand le pouvoir d’achat des familles baisse alors que les plus nantis sont protégés, par exemple, sur le plan fiscal.
Bruno Sido. Pour la première fois depuis longtemps, les cantonales ne sont pas couplées avec une autre élection, ce qui augmente le risque d’abstention. Il faut mesurer que les conseils généraux sont, avec les communes, des investisseurs majeurs de la sphère publique puisque l’État n’investit plus beaucoup.
Le silence assourdissant autour de ses élections ne s’explique-t-il pas par la crainte du gouvernement d’un vote sanction à son égard ?
Bruno Sido. Les élections cantonales, ce sont des hommes qui se présentent, pas des partis. Je crois à l’équation personnelle du candidat, qu’il soit de gauche ou de droite. Il n’y aura pas de raz-de-marée dans un sens ou dans l’autre. Ma famille politique a perdu en 2004, la majorité des départements. Y aura-t-il un vote sanction ? Je ne le crois pas.
Christian Favier. J’observe sur le terrain que les candidats de droite sont assez discrets. Il y a, chez eux, une volonté de ne pas apparaître sous l’étiquette politique de l’UMP.
Bruno Sido. Je suis bien obligé de reconnaître que, trop souvent, nos candidats ont mis leur drapeau dans leur poche. Ils supposent que ce n’est pas porteur d’être aujourd’hui à l’UMP. C’est une mauvaise stratégie, d’autant que l’UMP n’a rien à se reprocher. Le gouvernement a des résultats vraiment tangibles.
Christian Favier. La discrétion de la droite témoigne de la crainte d’un vote sanction. S’il y a peu de médiatisation, c’est avec l’espoir qu’une faible participation justifiera la réforme des collectivités territoriales qui met en cause le devenir même des départements. Dans cette période de crise, les départements démontrent qu’ils peuvent être de véritables boucliers sociaux pour les populations. Par exemple, dans le Val-de-Marne, quand nous prenons en charge les frais de transport à hauteur de 50 %, nous aidons les familles. Et c’est à ce moment-là que tombe cette réforme des collectivités...
Justement, cette réforme a provoqué colère et inquiétude chez nombre d’élus à gauche mais aussi à droite. Quel est votre regard sur une réforme qui met en cause l’organisation des territoires ?
Christian Favier. Je considère qu’il s’agit d’une réforme dangereuse. D’une part, il y a une confusion entre le rôle des départements et des régions. Ce sont deux niveaux de collectivité très différents. La région a un rôle stratégique, le département a un rôle de proximité et de péréquation entre les territoires pour corriger ces inégalités. Avec l’élection du conseiller territorial, commun aux deux institutions, on va assister à un éloignement de ces élus des populations, contrairement à ce qu’elles souhaitent. C’est une réforme qui vise à réduire la dépense publique pour combler des déficits qui sont pour l’essentiel le fait de l’État. Enfin, cette réforme limite notre action en nous contraignant à intervenir sur nos seules compétences obligatoires. Ce n’est pas acceptable.
Bruno Sido. Cette réforme ne concerne pas que les départements. Elle consolide le rôle de la commune qui, seule, garde la compétence générale qui lui permet d’intervenir dans tous les domaines. Concernant les conseillers territoriaux, il y avait deux réformes possibles. La première, réduire à huit ou dix le nombre de régions, et dans ce cas le département gardait tout son sens. Autre voie, la meilleure, conserver les régions telles qu’elles sont, constater qu’il n’y a pas une vraie pertinence département-région et créer le conseiller territorial. Vouloir la même personne pour gérer la région et le département, c’est une bonne chose, car il faut une certaine cohérence entre les politiques, et on ne peut pas faire tout et son contraire dans une période où l’argent manque.
L’obligation de s’en tenir aux compétences obligatoires ne risque-t-elle pas de rendre plus difficile, voire impossible, l’intervention des départements pour répondre pleinement aux besoins des populations ?
Bruno Sido. Que la gauche critique notre réforme, c’est de bonne guerre. Le PS et le PCF se répandent sur le terrain pour dire aux maires que les départements ne pourront plus les aider. Mais c’est faux. La loi prévoit, du moins pour les petites communes, que les aides resteront de la compétence du conseil général.
Christian Favier. Les communes auront l’obligation de prendre en charge la plus grande part du financement de leurs projets et il y aura une limitation des financements croisés venant des départements et de la région. L’objectif de cette loi est de réduire la dépense publique. C’est grave. Par exemple, en Val-de-Marne, nous avons fait le choix d’investir fortement dans le logement social. Si, nous, nous ne sommes plus compétents pour le faire, les communes ne pourront pas poursuivre leurs projets alors que la crise du logement est particulièrement forte. De plus, l’État se désengage du logement social. Cette loi vise à nous faire abandonner des politiques auxquelles nous sommes très attachés.
Bruno Sido. Nos concitoyens ne se plaindront pas que l’augmentation de l’impôt soit limitée. Dans les trois grandes villes de Haute-Marne, nous sommes à plus de 50 % de logements sociaux. Nous aurons tout loisir de poursuivre nos politiques, y compris en matière de logement. La démocratie veut que nos concitoyens sachent quel échelon de collectivité fait quoi.
Christian Favier. Si on veut des élus responsables devant les citoyens, il ne fallait pas toucher à l’autonomie fiscale des collectivités. Aujourd’hui les recettes ne dépendent plus des départements mais pour l’essentiel de dotations d’État. Avec le risque que l’État, en fonction de la conjoncture, les diminue. Il les a déjà gelées pour trois ans.
Quelles seront les conséquences de ce gel ?
Christian Favier. Prenons les transferts de l’allocation personnalisée à l’autonomie (APA), du revenu de solidarité active (RSA) et de la prestation compensatoire de handicap (PCH). L’État, sur le budget 2011, nous doit 82 millions d’euros. On nous dit qu’il n’y a pas d’argent ? Avec la suppression, par exemple, de la taxe professionnelle (TP), 7 milliards de recettes ont été perdues, sans bénéfice pour l’emploi. Ce manque à gagner a des conséquences directes sur les services rendus par les collectivités.
Bruno Sido. Les collectivités ne peuvent pas vivre dans un îlot de prospérité au milieu d’un océan de difficultés. Avec la crise mondiale, l’État a perdu 20 % de ses recettes. Mais il a maintenu 90 milliards de dotations aux collectivités. Ce n’est pas si mal. Pour ce qui concerne la réforme de la TP, les collectivités ne perdent rien. Les recettes sont maintenues à l’euro près. De plus, l’État était le premier contributeur de la TP.
À cause des exonérations accordées aux entreprises...
Bruno Sido. Effectivement. En ce qui concerne les transferts, c’est vrai que nous n’arrivons plus à suivre le rythme d’augmentation de l’APA et des autres allocations. On a du mal à se faire entendre au plus haut niveau. Mais aujourd’hui le gouvernement a pris en compte cette question.
Mais des départements n’arrivent plus à boucler leurs budgets...
Bruno Sido. Le Parlement a créé une péréquation financière entre les départements sur l’un des impôts qu’ils perçoivent, les droits de mutation, perçus sur les transactions immobilières. 20 départements en aident 80. Mais il faut aussi mieux gérer nos budgets. Des départements n’arrivent pas à boucler leur budget, c’est probablement vrai, mais il y a des départements plus prudents. Ainsi, en Haute-Marne, nous n’avons pratiquement pas de dette et 30 % de notre budget de fonctionnement est consacré à l’investissement.
Christian Favier. Prenons la péréquation, l’État va prélever au Val-de-Marne 18 millions d’euros sans tenir compte de la réalité sociale du département. Nous avions présenté une proposition de loi au Sénat pour une pleine compensation financière par l’État des transferts de charges. Elle n’a pas été votée. Pire, l’État envisage, sur la dépendance, de faire des économies sur le dos des personnes concernées. Sur les 10 000 bénéficiaires de l’APA dans le Val-de-Marne, 5 000, les moins gravement touchés, pourraient, demain, se voir supprimer les 250 euros qu’ils perçoivent par mois. Le recours à des assurances privées creuserait les inégalités. Un véritable système de solidarité doit être mis en place.
Bruno Sido. Il est curieux d’invoquer la libre administration des collectivités et, dès qu’il y a un souci, aller chercher l’État. Je n’ai pas voté la proposition de loi au Sénat parce qu’elle ne prévoyait pas les recettes correspondantes. Elle était donc vouée à l’échec. C’était un geste politique fort qui ne résolvait pas le problème. Nous devons tous participer à remettre à flot notre pays. La France va vieillir. Il va falloir trouver des ressources. Après le travail le jour de la Pentecôte, qui rapporte 2,5 milliards d’euros, nous proposons une deuxième journée de solidarité. Concernant le recours aux assurances privées, je préfère parler de contribution volontaire obligatoire.
Ces élections cantonales ne seront-elles pas un sondage grandeur nature de l’état de l’opinion ?
Bruno Sido. Je ne pense pas qu’on pourra tirer de grandes leçons de ce scrutin sur l’état réel de l’opinion. Celle-ci va saisir cette occasion pour se défouler. Y compris avec un vote FN qui ne correspond pas aux vraies opinions des Français mais sera l’expression d’un ras-le-bol qui vise moins le pouvoir en place que la situation économique et sociale en général.
Christian Favier. On sent une forte déception dans l’électorat qui avait voté pour Nicolas Sarkozy en 2007. S’il y a un risque de glissement vers le FN, je pense qu’il sera majoritairement issu des électeurs qui avaient placé leurs espoirs en lui. Si les politiques apparaissent comme déconnectés des aspirations de la société, cela peut créer un terrain favorable au discours démagogique de Marine Le Pen. Il faut prendre cette menace au sérieux et la combattre en redonnant tout son sens à l’enjeu de ces élections : celui du rôle des départements comme élément de cohésion sociale, aujourd’hui déstabilisé et fragilisé par le gouvernement